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Qu’elle soit envisagée sous l’angle éthique, juridique, sociétal ou stratégique, cette tension sert de cadre à la plupart des discours, restreignant du même coup le concept de trace numérique aux seuls problèmes de traçage. Dans cette perspective, les dispositifs sécuritaires et les logiques de visibilité sont envisagés comme les deux versants opposés de la présence en ligne, recoupant peu ou prou des clivages économiques (consommateurs vs firmes) ou générationnels (générations X vs. Y). D’un côté, on cherche les moyens (techniques, contractuels, légaux) de garantir la privacy et de veiller à la e-réputation des personnes et des entreprises. De l’autre, on revendique des comportements décomplexés de libre-échange, relationnels ou marchands. Outre qu’elle confine la problématique de la traçabilité dans un registre conflictuel stérile, une telle structuration du champ laisse de côté plusieurs enjeux importants. D’une part, la focalisation sur les comportements (protéger, exposer, manager ses traces) ne rend pas compte d’un certain nombre de caractéristiques des traces numériques, qui leur confèrent justement une efficacité au-delà ou indépendamment de nos agissements. En second lieu, la référence au clivage entre espaces public et privé conduit en général à penser que la traçabilité numérique n’intéresserait que le profilage individuel et ne concernerait le collectif qu’en tant que graphe social. Enfin, alors que trace et mémoire ont toujours été entrelacées par la philosophie, l’art et l’anthropologie, la dimension mémorielle des traces est singulièrement absente des considérations sur la présence numérique.
Sur les bénéfices que l’utilisateur peut tirer de ses propres traces, tout reste à inventer, mais ce ne sera possible qu’à la condition de passer à des formes collaboratives ou collectives d’appropriation, pour que leur exploitation ne soit pas seulement commerciale ou personnelle, mais sociale. Appréhendés dans cette perspective, les effets souvent constatés de brouillage entre les sphères publiques et privées pourraient être envisagés sous un angle nouveau : la mise en circulation des traces relèverait moins de l’intrusion ou de l’exposition que d’un processus d’individuation collective (Stiegler, b). C’est l’hypothèse que nous développons en considérant que la publication des traces n’est pas une dérive ou un dysfonctionnement, mais bien ce qui caractérise l’hypersphère comme milieu (Merzeau, 2007). Il n’y a pas de trace proprement individuelle et toute trace est toujours médiée par un groupe
Qu’est-ce que l’individuation collective ?
L’enjeu, on l’aura compris, porte sur le passage du stockage des données à la constitution de mémoires
- en faveur des _friches numériques_
La thésaurisation ne se pense pas ici comme archive, mais bien comme mémoire. La raison de ces collections est tout entière dans le geste d’élection qui prélève un fragment du flux pour se l’approprier et le signaler aux autres comme trace identitaire
4L4IC01P - Université Paris Nanterre - Hiver 2024