Définir l’identité numérique

Roch Delannay

1/24/24

Plan de la séance

Introduction
Histoire et définition de l’identité numérique
Les traces sont construites

1. Introduction

Construction de l’identité numérique
Étude des profils sur les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux nous disent “Soyez vous-mêmes, racontez votre vie, postez vos photos, donnez votre avis”. Lorsque nous répondons à ces injonctions, tous les jours, nous laissons des traces numériques, lors de notre navigation, de nos échanges en ligne ou de nos déplacements. Le modèle économique des grandes plateformes est de chercher à récolter le plus d’informations possibles pour ensuite les vendre à des personnes, des entités qui cherchent à nous cibler (de manière à personnaliser leurs offres). Toutes ces “traces” construisent une image de nous que l’on peut appeler “identité numérique”. Le cours va porter sur les enjeux de la construction de cette “identité numérique” et le modèle économique qui lui est lié.

Dans cette première partie qui va durer environ 3 séances, nous allons définir ce qu’est l’identité numérique puis nous allons nous pencher plus précisément sur la manière dont elle est co-construite par les grandes plateformes et nous, les usagers. On se penchera plus précisément sur l’un des éléments constitutifs de l’identité sur le Web : les profils des réseaux sociaux, ou espaces personnels de sites Web qui sont souvent un prérequis pour utiliser des services en ligne (achats sur internet, participation à des espaces d’échanges en ligne…).
Si nous étudions spécifiquement les “profils” c’est parce qu’ils ont une double figure. D’un côté, ils permettent d’avoir accès à un tas de services (échange entre amis, achats en ligne…). Mais de l’autre côté, et on le sait bien aujourd’hui, ils sont la source d’un marché énorme de la donnée personnelle (sur lequel nous reviendrons plus en détail à la fin du semestre).

Pendant ces trois premières séances portant sur la construction de l’identité numérique, nous allons voir que cette identité est co-produite par les utilisateurs et les sites internet :

Les RSN mettent à disposition des “moules préfabriqués”, des gabarits qui sont personnalisables ;
Nous remplissons ces gabarits avec des informations sur nous : nom, prénom, photo, âge, sexe …

Le “profil” ou l’espace personnel est donc un produit semi-industriel : il est proposé par les géants du web et nous le personnalisons. Cette dimension semi-industrielle formate l’expression de soi sur le numérique et donc ce que nous appelons “identité numérique”.

Pour cela :

La séance d’aujourd’hui permettra de définir l’identité numérique et de comprendre comment notre individualité, qui est très complexe, est bien souvent réduite à un identifiant (des chiffres) sur le Web.
Au cours de la deuxième séance, nous analyserons plus en profondeur la manière dont les “profils” sont des moules préfabriqués, des coquilles vides que nous remplissons. Nous nous demanderons ce que cela a comme incidence sur la construction de l’identité en ligne.
Enfin, au cours de la troisième séance, nous verrons comment cette dimension normative est maquillée pour que l’on n’ait pas l’impression que le temps que l’on passe sur les RSN soit un temps pendant lequel on remplit des formulaires administratifs. Dans cette séance, nous verrons donc ce que nous vendent les RS et comment cela se fait-il que tant de gens y passent tant de temps.

Si je résume, dans cette première partie du cours, nous allons voir la construction de l’identité numérique entre individualisation et standardisation. L’objectif sera de vous montrer la part industrielle de cette identité numérique qui est une forme d’écriture numérique.

2. Histoire et définition de l’identité numérique

L’identité est une notion complexe. L’analyse de l’identité pourrait nous renvoyer aussi bien à la philosophie, à la théologie qu’à la logique. Cependant, dans le cadre de cours, nous allons adopter une approche plus terre à terre en analysant des sites Web et autres exemples concrets.

2.1 Apparition de la notion d’identité numérique et enjeux initiaux

Lien entre les notions d’identité numérique et de surveillance
Passage du fichage (époque pré-numérique) au traçage (époque numérique)

L’apparition de la notion d’identité numérique est liée, dès sa naissance, à la question de la surveillance et du contrôle. Jusque vers le milieu des années 1990, l’identité numérique est d’abord une question d’“identifiants numériques”. Une des questions centrales pour le gouvernement français à cette époque est celle de la création d’un identifiant unique qui autoriserait l’interconnexion des différents fichiers administratifs relatifs à une personne (EX : les données de Pôle Emploi pourraient être mises en connexion avec celle de la Sécurité Sociale, de l’éducation nationale …). Cette interconnexion pourrait aboutir à l’existence d’un numéro unique. Le projet a été refusé.
À ce moment, la question de la sécurisation des données concerne principalement les entreprises et les administrations et n’est pas une question dans l’opinion publique.

De la fin des années 1990 au début des années 2000, commence à apparaître la problématique de la “vie privée” tandis que les grands acteurs du Web (France Télécom, Cisco, Sun, eBay) réfléchissent à des normes mondiales pour la gestion des données personnelles et les procédures d’authentification. À partir de 2003, on assiste au lancement des grands réseaux sociaux, dont MySpace, Friendster et LinkedIn. Dans le même temps, Google est devenu l’outil incontournable que nous connaissons aujourd’hui. Dès 2005, la question de la protection des données apparaît. L’usage des réseaux sociaux est déjà banalisé et massifié.

On le voit bien, l’enjeu de la surveillance est central dans la question de l’identité numérique. Néanmoins, avec les évolutions récentes d’Internet et du Web, la question de la surveillance ne se pose pas de la même manière qu’avant son apparition.
Dans un article intitulé “Le contrôle social à l’heure des technologies de mobilité et de connectivité : du fichage ciblé des individus au traçage continu des agissements”, Dominique Carré et Robert Panico expliquent cette transition. Avant l’apparition d’Internet, la question du contrôle des individus se posait surtout à propos du fichage faits par les États.
Avec l’apparition d’Internet, la menace pour les libertés individuelles et collectives ne se pose plus uniquement du côté du fichage mais aussi du côté des traces numériques qui sont produites par l’utilisation personnalisée d’Internet quand nous achetons en ligne un billet de train, quand nous nous inscrivons sur un réseau social ou, tout simplement, quand nous faisons une recherche sur Google. La personnalisation de notre navigation en ligne est nécessaire à notre utilisation du Web pour nous protéger de la fraude mais elle est aussi très intrusive.

Avec l’arrivée de l’Internet grand public, un autre mode de surveillance est apparu. Les traces que nous produisons au quotidien sont récupérées par les sites Web en question et permettent de reconstituer qui nous sommes, nos goûts, nos valeurs, notre emploi du temps, etc.

Ainsi, selon Dominique Carré et Robert Panico, nous sommes passés du fichage au traçage où chacune des traces que nous laissons sur le Web peut être récupérée pour reconstruire un “double numérique” de nous-mêmes.

À chaque requête déposée, à chaque statut renseigné, à chaque inscription sur notre “mur”, nous offrons progressivement aux moteurs et aux réseaux sociaux – le plus souvent sans le souhaiter ou le savoir – une véritable mine d’informations sur nous-mêmes et sur nos pratiques.

Exemple : Sur Facebook, en regardant l’historique, on se rend bien compte que la moindre de nos activités est archivée par le site, voir la page “historique personnel”.
Sur Google, on peut voir les catégories qui nous représentent, notre identité numérique qui est ce que nos traces numériques révèlent de nous : Adssettings.google.com.

Cela induit un changement dans le rapport à la sensation de contrôle : nous n’avons pas de sensation de contrôle, bien que nous laissions derrière nous une quantité d’éléments qui donnent des indications sur nous et qui construisent une identité numérique. Pour les deux auteurs, il y a un changement de représentation dans la logique de surveillance.

2.2 Définition préliminaire de l’identité numérique

identité numérique = la collection des traces (écrits, contenus audios ou vidéos, messages sur des forums, identifiants de connexion, etc.) que nous laissons derrière nous, consciemment ou inconsciemment, au fil de nos navigations sur le réseau, c’est-à-dire le reflet de cet ensemble de traces.

À partir de cette approche historique, nous pouvons poser une première définition de l’identité numérique comme la collection des traces (écrits, contenus audios ou vidéos, messages sur des forums, identifiants de connexion, etc.) que nous laissons derrière nous, consciemment ou inconsciemment, au fil de nos navigations sur le réseau, c’est-à-dire le reflet de cet ensemble de traces.

Autrement dit, mon identité numérique c’est : adresse IP, cookies, adresses courriels, nom, prénom, pseudos, coordonnées (personnelles, administrative, bancaires, professionnelles, sociales), photos, avatars, logos, tags, liens, vidéos, articles, commentaires de forums, données géolocalisées, etc.

Chaque “trace”, c’est la production d’un “document” : une photo de nos vacances, un commentaire, un mail … et notre identité numérique est ce que ces productions documentaires disent de nous une fois captées et remixées dans l’interface des moteurs de recherche et des réseaux sociaux.
Ces “traces” que l’on appelle aussi “données personnelles” disent beaucoup de nous.

2.3 L’assujettissement à des processus d’identification

L’identifiant et l’identification
L’exemple de Google, le « service total »

L’identifiant et l’identification

La question des “traces” et des données personnelles est accentuée par un phénomène, celui des identifiants et de l’identification. Aujourd’hui, notre utilisation du Web est majoritairement soumise à l’ouverture de comptes et à des processus d’identification. Un identifiant, c’est un couple associant un nom d’utilisateur et un mot de passe, et permettant d’accéder à des services en ligne. Leur nombre est impressionnant. Par exemple, si je fais la liste de tous les sites sur lesquels j’ai dû m’identifier depuis ce matin (en seulement quelques heures) : - Connexion à Internet via le service de l’Université ; - Ma boîte mails personnelle ; - Mes boîtes mails professionnelles (Nanterre, Université de Montréal) ; - Messagerie professionnelle (via GitHub) ; - Hedgedoc pour ce cours (via GitHub) ; - Facebook ; - Spotify ; - Twitter ; - Mastodon ; - WhatsApp ; - Cairn.info ; - GitHub ; - Stylo (via Huma-Num) …

Tous ces sites Web demandaient une identification avant tout usage. L’identification et la traçabilité de l’usager sont défendues par la plupart des sociétés Internet comme le seul moyen d’offrir une expérience enrichie de navigation, la seule possibilité permettant de personnaliser le service rendu. Mais ils ont aussi pour conséquence de documenter, de manière beaucoup plus transparente, nos identités numériques.

En effet, avec un identifiant (nous y reviendrons dans quelques instants) : on identifie les pratiques des individus sur Internet, on sait que ces X ou Y qui utilise ce site.

Aujourd’hui, de plus en plus de services et d’acteurs du Web ont choisi de simplifier la tâche de leurs utilisateurs en adhérant à un système d’identifiant unique (une paire unique “nom d’utilisateur + mot de passe”) qui permet d’accéder à un nombre conséquent de services.

Exemple avec Google, et avec la plateforme Identité numérique de La Poste.

En apparence, ce fonctionnement est très pratique mais il se mue souvent en un cercle vicieux, car le système a alors l’autorisation d’accéder à mes ressources (documents, courriels, amis, etc.). L’identification est persistante et souvent transparente.

L’exemple de Google, le “service total”

C’est le cas de Google, la page de recherche Google est d’une simplicité enfantine, et elle n’a pas changé ou presque depuis sa création.

2.4 Mini-analyse sémio de Google

Fond blanc = impression de neutralité
Derrière cette apparente simplicité se cache un mécanisme plus complexe : 
- orientation des réponses en fonction des recherches précédentes
- logique accentuée par l’identification permanente
- une emprise qui dépasse le simple ordinateur

Le fond blanc donne l’impression d’une neutralité et nous donne l’illusion d’une page blanche. Notre regard se concentre sur le champ de recherche au centre de la page comme si c’était la seule fonction de Google. Et effectivement, le “moteur de recherche” a connu un succès avec cette activité. Mais derrière cette apparente simplicité, il y a un traçage double.

Orientation des réponses en fonction des recherches précédentes

D’une part, l’ensemble de nos requêtes et de notre activité sur Google sont enregistrées et orientent peu à peu les résultats. En conséquence, nos recherches présentes sont orientées en fonction de nos recherches précédentes, ce qui fait que si nous faisons la même recherche sur Google, il y a de fortes chances que nous n’ayons pas les mêmes résultats. (Page ranking). Derrière l’apparente neutralité de Google, le traçage qu’il effectue a donc des conséquences sur la manière dont nous nous informons.

Une logique accentuée par l’identification permanente : Google comme “service total”

D’autre part, ce premier traçage est accentué par la logique d’identification que l’on vient de voir. En effet, dans nos pratiques quotidiennes, nombre d’entre nous commencent leur journée de travail par le relevé de leurs courriels, souvent sur la plateforme Gmail de Google. À partir de ce moment, et lorsque nous rebasculons vers le moteur de recherche, nous sommes nominativement identifiés par Google qui dispose ainsi d’une transparence totale sur l’ensemble de nos requêtes et à accès à la totalité des messages que nous avons envoyés et que nous avons reçus, et plus largement à tout ce que l’on fait avec les services affiliés à Google : Google Drive, Google Agenda, Google Photos et même YouTube. On peut mesurer l’étendue des services affiliés à Google avec le nombre d’icônes en haut en droite de la page Web de Google : et cette étendue est assez vertigineuse !

Google s’impose comme un “service total”, un point de passage obligé sur tous nos écrans car il est c ouplé à d’autres services : en se connectant à ses mails, l’utilisateur n’ouvre plus une messagerie mais un “compte” dont l’étendue dépasse largement la raison d’être initiale de sa venue. Google a donc une forme d’entreprise sur notre situation numérique.

Une emprise qui dépasse le simple ordinateur

Cette emprise dépasse l’ordinateur. Elle a lieu sur l’ensemble de nos outils du numérique au quotidien. Si vous utilisez un smartphone possédant l’OS fourni par Google (Android), alors Google a également accès à l’ensemble de vos communications et activités sur votre smartphone. Ce constat peut-être étendu au marché des dumbphones puisque en 2018 Google investi des millions de dollars dans KaiOS, le système d’exploitation basé initialement sur Linux pour les dumbphones et déployé sur une bonne partie de l’hémisphère Sud. La synchronisation des écrans du quotidien conduit à une connectivité permanente qui documente, de manière persistente, nos activités quotidiennes.

Mais cette identification persistante se fait oublier. Sur Google, pour continuer notre exemple, elle est relativement discrète : c’est un petit rond en haut à droite que l’on oublie car la connexion est permanente et que, lorsque l’on va sur d’autres plateformes qui sont liées à Google, comme YouTube, mais sur lesquelles on n’apparait pas comme “connecté” : on peut carrément oublier que nous sommes affiliés à Google.

Conclusion : en somme, par notre activité sur le Web, nous renseignons au quotidien les sites internet que nous utilisons. Et cette logique de traçage est accentuée par l’utilisation d’identifiants.

3. Les traces sont construites

En quoi ouvrir un compte sur les RS facilite-t-il la fabrique des traces ?

3.1 Les identifiants et le matricule militaire

attribution d’un matricule (série de chiffres) à un individu
feuillet nominatif comportant diverses informations, lié au matricule

La notion d’identifiant est liée à une histoire sociale des gouvernements et de la surveillance. Historiquement, les premiers recensements de la population transforment les individus en chiffres afin de pouvoir récolter les impôts et repérer les individus pour pouvoir lever des troupes.

Dans l’armée, jusqu’à la fin du service militaire obligatoire (1996 annonce de Chirac, fin effective en 2001), on attribuait à chaque conscrit un numéro de matricule, qui correspondait au numéro de la page du registre tenu par l’armée, un “feuillet nominatif” était ouvert pour chaque soldat puis, tenu à jour jusqu’à la date de la libération des obligations (radiation des armées).

Sur ce feuillet nominatif figuraient les informations sur l’état civil du conscrit :

noms, prénoms, voire surnoms ;
date, lieu et département de naissance ;
lieu de résidence au moment de l’enregistrement pour le service militaire ;
noms et lieu de résidence des parents ;
détails physiques ;
niveau d’instruction ;
profession : au moment de la conscription, puis lors des différentes actualisations de la fiche matricule.

Figuraient également le “parcours du combattant”, c’est-à-dire :

les batailles auxquelles le soldat a participé ;
ses affectations dans les corps de l’armée ;
ses différents lieux de résidences.

Ou encore ses blessures, ses médailles, remarques sur le comportement et exemplarité de l’individu, etc.

En somme, le feuillet nominatif est une carte d’identité militaire de l’individu. Cette carte d’identité militaire est organisée en plusieurs parties : une première identification sur l’état civil puis deux parties plus spécifiques aux informations militaires.

3.2 Sur les sites web : c’est la même chose

inscription sur une plateforme se fait au travers d’un formulaire
les informations à remplir sont ciblées selon le type de plateforme
la création d’un compte se finalise par la création d’un identifiant unique

Lorsque l’on crée un compte sur un site Web, c’est la même chose qui se passe. Prenons l’exemple de Facebook et regardons ce qu’il se passe quand on cherche à s’inscrire sur ce réseau social.

Pour s’inscrire sur Facebook, nous avons affaire à un petit dispositif d’inscription qui ressemble fort à un formulaire administratif : on nous demande de renseigner des informations :

notre prénom et nom de famille ;
notre numéro de mobile et email ;
notre nouveau mot de passe, notre date de naissance ;
et de cocher la case relative à notre genre (très binaire) Femme ou Homme.

On retrouve donc une forme d’état civil, mais un état civil restreint à la sauce Facebook.

Les informations à fournir ne seraient pas les mêmes pour s’inscrire sur un site de rencontre, par exemple Fruitz ou Tinder. Lorsque l’on crée un profil sur l’application Fruitz nous devons renseigner plusieurs points :

Numéro de téléphone ;
âge ;
pseudo ou nom ;
le genre que nous nous attribuons ;
le genre de profils que nous souhaitons voir (Homme, Femme ou Homme & Femme) ;
une ou plusieurs photos ;
un fruit qui informera les utilisateurs sur le type de rencontre que l’on souhaite faire.

Dans ce deuxième exemple, nous voyons que les informations à donner ne sont pas les mêmes que pour Facebook. Cela illustre une manière différente de construire l’identité numérique (on reviendra dessus en détail plus tard).

Une fois que ce profil est créé, un numéro identifiant est associé aux informations que j’ai donné, une page (comme le feuillet nominatif du militaire) est créée. La création d’un numéro identifiant est un processus central car c’est lui qui établit un lien entre un sujet et une page Web (qu’il s’agisse d’un compte Instagram ou d’un compte sur un site Web de vente en ligne). Cette page fictive est inscrite et stockée dans une base de données, qui est comme un registre mais pour l’informatique.

Autrement dit, lorsque l’on crée un profil sur Facebook ou sur Fruitz, on ouvre un nouveau dossier dans la base de données de Facebook ou de Fruitz. Pour retrouver les informations qui nous sont relatives, c’est-à-dire pour nous identifier, le site Web en question nous attribue un identifiant qui nous donnera accès à nos informations personnelles.

3.3 Une transformation ontologique de l’individu en chiffre

En dehors d’Internet, nous avons aussi une existence sous forme de chiffres. Exemples :

les impôts
la sécurité sociale
l’éducation nationale

Nous avons vu que la création d’un identifiant est fortement liée au secteur administratif. Notre identité est assimilée à une page numérotée : le sujet est transformé en chiffre.

En dehors d’Internet, nous avons aussi une existence sous forme de chiffres. L’administration française nous connaît par nos noms, prénoms, mais également :

La sécurité sociale nous connaît par notre numéro de sécurité sociale. Sur la carte de la sécurité sociale, chaque chiffre correspond à une information :
- 1/2 : sexe ;
- année de naissance ;
- mois de naissance ;
- département de naissance ;
- code de commune INSEE ;
- numéro d’ordre de naissance : ordre d’enregistrement de votre naissance sur votre commune dans le mois.

Je vous donne cet exemple pour vous montrer qu’on a là une autre manière de nous définir par des chiffres (en fonction de notre lieu et date de naissance). Cela induit un certain formatage de l’identité, qui se voit bien par rapport à la question du sexe par exemple (les choses sont-elles aussi binaire que homme ou femme ?).

L’Éducation nationale nous connaît grâce à notre numéro INE : un numéro national délivré à chaque élève dès son inscription en petite section de matenrelle en France et sera la même jusqu’à Terminale voire dans les cycles d’études supérieures. Il permet d’identifier individuellement chaque élève scolarisé dans l’enseignement élémentaire et secondaire.
Les impôts nous connaissent avec notre numéro fiscal.
Autre exemple numérique : Les applications du gouvernement passent par un système d’authentification (France Connect et France Connect+).

Conclusion (importante) car c’est la logique et l’un des enjeux philosophique de cette séance 1 :

Cette mise en chiffre a une conséquence philosophique : la transformation en nombre transforme les individus entiers, complexes … en chiffres. Sur Internet, cette transformation ontologique instaure un ordre identitaire qui rend systématiquement comparables les espaces prétendus “uniques” accordés aux uns et aux autres.

Sur le Web, les procédures d’identification sont essentielles car ce sont elles qui, en transformant un individu en nombre, permettent de centraliser les traces qui sont produites par l’utilisation d’internet. Par exemple sur Facebook, elles permettent d’associer un individu à une série d’informations, de photos, de commentaires, de réactions, de discussions … Et donc elle facilitent la reconstitution d’un profil par les traces produites.

En somme, la nature très personnelle d’un profil Facebook, d’une chaîne YouTube ou d’une timeline sont construites, paradoxalement, sur des numéros génériques au fondement impersonnel.